AIT BEN HADDOU PART#2 – RENCONTRE AVEC LOUBNA ET HICHAM, ENGAGÉS DANS LE DÉVELOPPEMENT DURABLE DES ZONES RURALES

Lire l’article Ait Ben Haddou Part#1 - Une forêt nourricière au coeur d’un projet de développement durable

Nous nous retrouvons une demi-heure plus tard dans la maison de Loubna et Hicham, confortablement installés autour d’un café tandis que le chat et le chien jouent leurs meilleurs tours pour participer, à leur façon, à la discussion. Nous avons tellement de questions à leur poser que nous ne savons plus par où commencer! Faisons simple, et reprenons donc depuis le début… 

Comment cette incroyable aventure a-t-elle démarré?

Retour aux sources

« J’ai dit à ma mère, raconte moi d'où je viens. Elle m’a répondu, il faudrait d’abord que je sache, moi, d'où je viens! Loubna

« Il y beaucoup de gens qui ont une vision, mais bien peu qui se donnent au final les moyens de la mettre en oeuvre. Loubna et Hicham en font partie » nous dit Mohamed lorsqu’il nous parlait d’eux pour la première fois. Ils sont tous les deux pilotes de ligne, fait déjà impressionnant en soi, et ont plutôt bien réussi leurs carrières, mais c’est loin d'être ce qui les définit. Car en réalité, c’est pour eux une opportunité de se mettre au service de leur vision, d’engager leurs compétences pour accomplir quelque chose de bien.

Loubna nous explique qu’ils sont impliqués dans la vie caritative depuis toujours, notamment auprès d’orphelinats, mais que tout a changé il y a trois ans, quand elle a ressenti le besoin de retrouver ses racines et l’histoire de son village, Ait Ben Haddou, auquel elle est particulièrement attachée même si elle n’y a jamais vécu. 

« J’ai dit à ma mère, raconte moi d'où je viens. Elle m’a répondu, il faudrait d’abord que je sache, moi, d'où je viens! » nous raconte Loubna. Commence alors un pèlerinage à Ait Ben Haddou, qu’elle effectuera d’abord avec sa mère à la rencontre des Anciens, témoins et gardiens d’une tradition orale aussi riche que fragile. 

Elles y font la connaissance d’une poétesse berbère, qui leur déclame le poème traditionnel d’accueil des étrangers. « Cela fait une éternité que je t’attends, que mon salut attend ton salut » récite Loubna avec émotion. Un instant suspendu dans le temps, qui a fait chanter son coeur et vibrer son âme… Le lendemain, Loubna se retrouve plongée au coeur de l’histoire de l’endroit, à travers le récit d’un homme, centenaire, qui le temps d’un après-midi partage avec elle souvenirs, légendes, contes et autres anecdotes. Une histoire incroyablement riche et relativement récente, dont ni Loubna ni sa mère n’avait pourtant aucune idée. « C’est là que j’ai pris conscience qu’il y avait eu une rupture de transmission orale » nous explique-t-elle. 

« Je me suis dit, je ne sais pas comment ces murs vont revivre, mais ils doivent revivre. C’était une certitude, une évidence. » Loubna

Un mois plus tard, c’est en compagnie de son père qu’elle repart sur les traces de la tradition, à la rencontre cette fois-ci des murs du ksar. L’ancienne forteresse berbère, bien que très visitée, est néanmoins à l’abandon. Pendant la visite, un flot d'émotions intenses assaillent Loubna, à qui une conviction nouvelle s’impose alors. « Je me suis dit, je ne sais pas comment ces murs vont revivre, mais ils doivent revivre. C’était une certitude, une évidence. »

Un lieu chargé d’histoire dont le tourisme de masse menace l'identité 

Ait Ben Haddou est un lieu imprégné d’une histoire forte, dont le ksar reflète la mémoire. Construit au 11è siècle, c’est une véritable forteresse berbère, avec ses murs défensifs renforcés par des tours d’angles, qui abritait une communauté de trente six familles juives et musulmanes. Cet héritage offre un précieux aperçu des techniques de construction ancestrales du sud marocain, harmonieusement adaptées à cet environnement si particulier et pourtant peu à peu abandonnées au profit de constructions et de matériaux plus « modernes ».

À partir de 1937, suite à un épisode de sécheresse dévastateur, les hommes quittent petit à petit leurs champs, à l’époque foisonnant à perte de vue, pour aller travailler dans les mines, provocant ainsi la disparition progressive de l’agriculture vivrière traditionnellement pratiquée.

Mais les murs subsistent, tant bien que mal, et de l’endroit se dégage une énergie qui inspire de nombreux artistes, comme le peintre Majorelle qui immortalise sa vision du village en 1929. À partir des années 1960, c’est le cinéma qui y fait son apparition, et Ait Ben Haddou devient le décor de films comme Lawrence d’Arabie, Babel, Gladiator et même plus récemment de la série Game Of Thrones.

Classé au Patrimoine Mondial de l’UNESCO en 1987, le ksar accueille depuis des centaines de visiteurs chaque jour. Mais le tourisme développé jusque-là n’a que très peu d’impact sur l'économie locale, étant majoritairement fondé sur des formules à la journée, où les touristes arrivent en bus de Marrakech ou Ouarzazate et repartent quelques heures plus tard après une balade dans les murs du ksar. 

Impossible alors de ressentir ce que cet endroit a de si spécial, et c’est d’ailleurs exactement notre cas, puisque nous apprenons tout cela de la bouche de Loubna et Hicham alors que nous y étions quelques jours plus tôt… Ça nous apprendra.

Impossible également pour ses habitants d’y trouver leur place et c’est le père de Loubna, Ahmed Mouna, qui leur redonnera une voix en créant avec eux et pour eux l’association Ait Aissa, du nom de la plus ancienne tribu ayant habité le ksar. Son objectif, accompagner les villageois vers un développement digne et durable, en travaillant notamment sur l’électrification, l'accès à l’eau et aux soins, ainsi que la prise en charge des plus jeunes avec la création d’une crèche et d’une école.

We Speak Citizen, naissance d’un collectif citoyen

« Nous venons de la ville, d’un autre milieu. On ne pouvait pas arriver et leur dire, voilà, on va vous importer un modèle et ça va marcher. » Hicham

Loubna et Hicham en sont convaincus, il faut repenser le modèle de développement et ce sont les villageois eux-mêmes qui détiennent les solutions. « Nous venons de la ville, d’un autre milieu. On ne pouvait pas arriver et leur dire, voilà, on va vous importer un modèle et ça va marcher » nous explique Hicham. Une question s’impose alors. Comment les aider à faire ce que eux ont envie de faire? Car ce qu’ils souhaitent c’est offrir aux villageois une opportunité de penser eux-mêmes leur futur, et c’est d’ailleurs ce qui fait toute la force et la cohésion de ce projet. 

La première étape, et presque la plus grande, fut de les accompagner dans la formulation de leurs aspirations. « Nous avons du prendre le temps, car nous avons rapidement compris qu’il y avait une différence entre ce qu’ils disaient et ce qu’ils voulaient dire » continue Hicham. Éducation, préservation et valorisation du patrimoine, tourisme, agriculture… Ensemble, d’abord avec les membres de l’association Ait Aissa puis avec l’ensemble des villageois, ils élaborent et assemblent brique par brique les éléments qui vont constituer le socle de leur avenir. « Nous n’avons pas apporté une vision, nous les avons accompagnés à la découverte de la leur » résume Loubna.

« C’est en quelque sorte une plateforme de traduction entre le language rural et le langage citadin. Car on parle tous le langage citoyen » Hicham

Ainsi est née l'idée de We Speak Citizen, un collectif citoyen permettant de faire appel aux savoirs-faire qui n’existent pas localement (urbanisme, agroécologie, marketing, etc) pour réhabiliter Ait ben Haddou, une zone rurale, dans une vision permettant au passé et au futur de trouver leur place dans le présent. « C’est en quelque sorte une plateforme de traduction entre le language rural et le langage citadin. Car on parle tous le langage citoyen » nous précise Hicham. 

Une vision admirable au service d’objectifs ambitieux

« On s’est donnés dix ans pour mettre en place un écosystème économique durable et équitable qui fonctionne » Loubna

Mais la vision de Loubna et Hicham, à travers leur engagement au sein du collectif We Speak Citizen, va plus loin encore. Car l’objectif, au-delà de la réhabilitation de Ait Ben Haddou, est de proposer un concept duplicable, de représenter un véritable modèle de développement équitable et durable pour les milieux ruraux. 

Ainsi, Ait Ben Haddou est en quelque sorte un incubateur d'idées, un projet pilote qui permettra de favoriser l'émergence de modèles sociétaux nouveaux, inscrivant le patrimoine social et culturel propre de chaque territoire dans une perspective d’avenir. 

« On s’est donnés dix ans pour mettre en place un écosystème économique durable et équitable qui fonctionne » nous explique Loubna. Ensuite, l’ambition est de reproduire le processus dans d’autres zones rurales, d’abord dans le sud-est marocain, puis dans le reste du Royaume et pourquoi pas même dans d’autres pays. 

« Disons qu'à présent, c’est pendant notre temps libre que nous sommes commandants de bord! » Hicham

Car dans leurs têtes c’est très clair, ce projet occupe aujourd’hui une place essentielle dans leurs vies respectives, mais aussi dans leur vie à deux. C’est un engagement qu’ils ont pris avec le plus grand sérieux, conscients des enjeux et du niveau d’investissement que ce challenge allait représenter. « Aujourd’hui c’est devenu un projet de vie » nous confie Loubna, et Hicham de répliquer avec humour « Disons qu'à présent, c’est pendant notre temps libre que nous sommes commandants de bord! ».

Mais ce qui les pousse à continuer, par dessus tout, c’est le changement dont ils ont été témoins chez les gens qui portent maintenant le projet, c’est à dire l’ensemble des villageois de Ait Ben Haddou. Car malgré la résistance manifestée au début, ils ont su saisir l'opportunité de faire entendre leur voix pour façonner leur propre futur… 

 

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Cet acte courageux de femmes et d’hommes qui ont décidé de prendre leur destin en main rend Loubna et Hicham particulièrement fiers, et leur donne aujourd’hui l’envie de partager leur expérience. C’est une chance pour nous, car ensemble, ils redéfinissent des mots comme engagement, équitable et durable et nous sommes heureux d’avoir croisé leur chemin. « Parler de ce qu’on fait permet de donner de l’espoir aux gens, de leur dire que c’est possible » nous dit Loubna. Car nous en sommes également convaincus, le partage est la clé, une opportunité de mettre en lumière les initiatives qui donnent de l’espoir quant à notre avenir à tous…

 

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