Rencontre avec Mohamed et sa famille, bergers dans l’Atlas Méditerranéen
Changement de décor
Après cet épisode citadin à Meknes et Fes nous n’avons qu’une envie, retourner dans la campagne au grand air! Juste au sud de là où nous sommes se trouve le Moyen Atlas, et c’est donc là-bas que nous nous dirigeons.
Nous quittons les collines verdoyantes et découvrons des paysages de plus en plus montagneux. Plus nous montons en altitude, plus il fait froid et plus le temps se dégrade… En arrivant aux abords d’Ifrane, nous remarquons que le sol est couvert de banc… Stupeur générale dans la voiture! Ce ne serait quand même pas de la neige?? Nous sortons pour en avoir le coeur net et découvrons que ce sont des grêlons, de la taille d’une cacahuète!! Visiblement la tempête nous devance de peu, et nous n’avons aucune idée de sa direction!
Nous avons prévu de dormir sur les rives d’un petit lac que nous avons repéré dans le Parc National de Khenifra, et reprenons notre route dans un decor digne des steppes mongoliennes… Des hameaux portant le symbole Berbère se succèdent dans des clairières et plateaux à l’herbe rase, au milieu d’une dense forêt de cèdres où parait-il qu’il est rare, mais possible, d'apercevoir des loups.


Quand l’univers te fait signe
La journée avance et la température baisse de plus en plus mais nous sommes toujours à une trentaine de kilomètres de notre destination. Toni arrête soudain la voiture et nous dit qu’il ne sait pas trop pourquoi, mais qu’il a le sentiment qu’il faut qu’il aille voir ce qu’il y a de l’autre côté de la colline qui se dresse à notre droite. Le sommet n’est pas loin et nous gravissons la pente rendue glissante par la pluie pour découvrir, à notre plus grande surprise…. Un gros rien. Le ciel est bouché et on ne voit pas grand chose à part l’autre versant de la colline. C’est en nous retournant pour rejoindre la voiture, morts de rires, que nous apercevons la raison pour laquelle, peut-être, Toni a senti que nous devions nous arrêter à cet endroit…
Une silhouette emmitouflée dans un épais manteau descend résolument la colline en face de nous et vient à notre rencontre. Comme nous n’avons pas vu d’habitations depuis un moment, nous sommes un peu étonnés de voir cette femme, seule avec ses chèvres au milieu de nulle part. En tout cas, elle a l’air super contente de nous voir! Elle s’appelle Ijja et elle nous invite, à grand renfort de gestes, à la suivre en haut de la colline. Nous acceptons volontiers, à la fois touchés par son sourire et curieux de savoir où elle nous emmène.
La boue et les kilos s’accumulent sous nos chaussures pendant que nous marchons, et Toni suit péniblement avec le 4x4, qui patine et peine à grimper la pente. Arrivés en haut, nous découvrons des petites bâtisses nichées à l’abri des regards dans le creux de la colline, entourées d’une haie protectrice de branchages piquants. Ijja nous présente à Mohamed, son mari, qui à son tour nous présente sa deuxième femme (oui oui, tout à fait) Melila, sa fille de 3 ans Maïma, sanglée dans le dos de sa maman, et sa belle-maman (la maman de Melila) Fathma.

Un thé au coin du feu
Nous pénétrons dans l’enceinte gardée par les clôtures (et les chiens, qui sont attachés la journée et libérés durant la nuit), et nous dirigeons vers l’une des maisons, bâtie avec des rondins de bois et recouverte de plusieurs couches de bâches en plastique. Nous ôtons nos chaussures pleines de boue et passons la porte. À l’intérieur, un chat est confortablement installé devant le poêle, qui trône au milieu de la pièce et dispense une chaleur tellement agréable que je réalise soudain à quel point il fait froid dehors! Dans un coin de la pièce, le sol en terre battue est modelé pour délimiter l’espace où l’on utilise l’eau, et évacuer celle-ci directement au dehors.
Mohamed nous invite à nous installer sur les épaisses couvertures disposées autour du poêle pendant que ses femmes préparent le thé. C’est la première fois que nous rencontrons une famille polygame et sur le coup je dois avouer que cette idée nous laisse un peu perplexes…. Nous avons appris, après ça, que la polygamie est effectivement encore présente au Maroc, même si c’est une pratique de moins en moins répandue, surtout depuis que les femmes ont leur mot à dire dans l’affaire! Mohamed doit sentir notre perplexitude car il nous explique (ou en tout cas nous pensons comprendre) que Ijja est sa première femme, que leurs enfants sont grands et partis à la ville, et qu’il a ensuite épousé Melila qui est venue s’installer avec sa maman. La langue qu’il parle nous est inconnue et pour cause, il s’agit de l’amazigh, la langue berbère que nous entendons pour la première fois.
Melila nous présente une aiguière et un bassin, qui nous permet de nous laver les mains à tour de rôle sans avoir à nous lever. Le rituel est observé avant et après chaque repas et chaque encas (ici les gens ont l’air d’adorer manger!) car on mange traditionnellement avec la main droite et non avec des couverts. Nous dégustons ensuite le thé, accompagné de pain frais, d’huile d’olive, de beurre et d’olives pendant que se poursuit une discussion certes un peu décousue mais néanmoins très animée!
La préparation du couscous
Ijja nous annonce que nous allons préparer un couscous, qui normalement se déguste plutôt le vendredi, jour saint. Comme nous ne sommes pas vendredi, nous réalisons que c’est un véritable honneur qu’ils nous font, et l’un de leurs poulets est d’ailleurs sacrifié pour l’occasion. Pas moyen de refuser, ni particulièrement bienvenu de s’apitoyer sur le sort du poulet même si l'idée ne me réjouit pas… Avant de commencer la préparation, les trois femmes se mettent en tête de me retenir les cheveux avec un foulard qu’elles me nouent sur la tête, pendant que les hommes s’en vont dans une pièce voisine.
Les quelques prochaines heures sont consacrées à la préparation du plat, et notamment de la semoule. Dans ma recette, ça prend dix minutes et c’est tout simple. Mais ici c’est tout un art, et il faut masser délicatement la semoule plusieurs fois, entre des temps de cuisson à la vapeur, avant d’obtenir une consistance qui soit satisfaisante. Melila vérifie d’ailleurs régulièrement que j’accomplis mon travail avec efficacité et semble contente de mon travail 😉
Entre deux séances massage de semoule je m'échappe pour aller voir ce que font les hommes, et je les découvre blottis sous des couvertures dans une pièce glaciale! Pour quelle raison venir ici alors qu’il fait tellement bon dans l’autre pièce? Peut-être est-ce lié à la préparation du repas? Où bien est-ce courant pour les hommes de se retirer pour avoir des « conversations d’hommes »…? En toute honnêteté le mystère reste entier! Néanmoins nous partagerons le couscous tous ensemble, et d’une façon nouvelle pour nous: en premier vient le poulet et la sauce aux olives avec du pain, puis en second vient le plat de semoule, accompagné des legumes ainsi que de lait chaud et salé, versé au dernier moment sur la semoule. La combinaison est plutôt surprenante à la première bouchée, mais le lait rend la semoule très onctueuse et le résultat est plutôt bon!


Une nuit sous les couvertures
Mohamed enfourne les boules de semoule dans la bouche de sa fille, pendant que nous discutons aidés par un livre d’images pour enfants, un outil bien pratique pour communiquer! Il nous confirme qu’il y a bien des loups dans la forêt, et que les chiens sont là pour garder le camp. Il faut donc faire très attention quand on sort, ce qu’il ne nous laisse d’ailleurs pas faire seuls, et hors de question de nous laisser repartir de nuit! Nous sommes chaleureusement invités à rester, et Melila nous prepare des couchages dans la pièce où il fait très froid… Je me prépare à aller chercher nos sacs de couchages avant de comprendre que nous n’en aurons absolument pas besoin! Une montagne de couvertures en laine, toutes plus épaisses et chaudes les unes que les autres nous attend. Nous nous glissons dans nos lits, et sombrons rapidement dans le sommeil, immobiles sous le poids des couvertures.
Au petit matin, nous nous éveillons au son des moutons qui expriment leur faim à pleine voix. Nous nous levons et sortons de notre chambre, et nous retrouvons plongés dans le rituel des activités matinales. Sortir les chèvres, nourrir les moutons, traire la vache, remplir les abreuvoirs est les bidons de la cuisine… Le travail ne manque pas avant de prendre le petit déjeuner, et nous dégustons ensuite le thé, accompagné de pain, de beurre frais et d’huile d’olive pendant que Mohamed prépare son sac. Il nous fait comprendre qu’il souhaite venir avec nous dans le 4x4, pour qu’on le dépose à Mrit, une quarantaine de kilomètres plus loin. Avant de partir nous nous prêtons tous au jeu d’une séance photo, et nous profitons de notre petite imprimante pour leur en offrir quelques unes, en souvenir de notre passage ici.
Mohamed a l’air content de faire un bout de chemin avec nous, mais Ijja et Melila sont tristes de nous voir partir… Malgré le peu de temps passé ensemble il n’est pas facile de dire au-revoir, mais l'idée de les revoir peut-être un jour adoucit le moment et nous prenons finalement la route, Mohamed installé sur le siège passager arborant un grand sourire et moi recroquevillée entre le frigo et les chaises (rires). Même si Mrit n’est pas vraiment sur notre route, nous sommes heureux de passer ce moment avec lui. Il nous explique qu’il rêve d’aller s’installer en France, et nous n’avons pas le coeur de lui expliquer que sa vie ne serait pas meilleure qu’ici, bien au contraire… Au lieu de cela, nous lui offrons à notre tour de passer nous voir si jamais il venait un jour. À sa tête, nous comprenons que cela représente beaucoup pour lui…




Épopée pour devancer la pluie dans la forêt de cèdres
Après l’avoir déposé à Mrit, nous reprenons la direction du lac Auguelmam Zigza, notre destination d’origine. Au bout d’une piste qui sillonne entre les arbres, nous parvenons sur un plateau au milieu duquel, adossé à la forêt, se trouve le lac. Nous y sommes accueillis par des macaques qui semblent régner en maîtres sur l’endroit. Devant les quelques tentes berbères, dressées sur les rives surplombant le lac, mijotent des tajines qui paraissent prononcer nos noms avec insistance. Nous cédons à la tentation (assez facilement il faut avouer) et en profitons pour jeter un oeil à la carte. Nous optons pour une piste qui coupe au milieu de la forêt pour rejoindre l’axe qui mène vers l’est du pays, de l’autre côté des montagnes.
En nous engageant sur la piste, nous croisons un groupe de motards qui rebrousse chemin. Ils contourneront par la route car les rochers rendent le passage trop difficile… Nous continuons néanmoins et en effet, plus nous avançons et moins nous sommes sûrs de pouvoir sortir. Nous arrivons au coeur des montagnes, la piste sillonnant sur les pentes bien abruptes. La pluie fait son apparition et la visibilité joue à cache-cache avec nous, mais le 4x4 fait son travail et nous progressons tranquillement.
Quand la brume finit par monter, les vues sont mystiques. Le fond de la vallée disparait et les cèdres qui se dressent majestueusement semblent défier les cieux, tandis que nous naviguons entre ciel et terre à on ne sait plus très bien quelle altitude. Les ruisseaux formés par la pluie sinuent paresseusement entre les arbres sur le sol tapissé d’herbe d’un vert tendre. Nous voyons immédiatement le spot de camping parfait, mais la pluie qui redouble d'intensité nous pousse à continuer… Parait que de l’autre côté il fait beau…
Nous roulons jusque tard pour devancer la pluie battante, et finissons par nous arrêter à la sortie des montagnes. Les nuages y semblent accrochés, et nous devinons la pluie qui tombe mais passerons la nuit au sec, et prendrons même un petit déjeuner au soleil, ce qui suffit amplement à notre bonheur!





